Lors du conseil municipal du 12 septembre 2002, affaire n° 18, le maire a fait voter au conseil municipal un amendement au règlement intérieur du conseil municipal qui visait à imposer un plan de table aux conseillers municipaux dont la seule finalité, au dire du maire lui-même lors de cette séance, était de séparer les uns des autres les élus du groupe minoritaire qui, jusque là, siégaient côte à côte.
Pour être sûr de l'effet de surprise le maire n'a même pas communiqué aux conseillers municipaux minoritaires dans le dossier préparatoire au conseil le plan de table qu'il projetait et ceux-ci l'ont découvert en séance. Mais la précipitation et le secret dont s'est entouré le maire pour préparer cette décision (il s'est contenté de présenter en guise de délibération un simple plan de table sur une feuille de papier sans même prendre la peine de rédiger un article à insérer dans le règlement intérieur) font qu'il a dû la faire annuler et revoter dans des formes plus acceptables à la séance suivante du conseil municipal, le 24 octobre 2002. C'est dans cette nouvelle version, qui n'a pas changé le plan de table lui-même, qu'elle figure dans la copie du règlement intérieur disponible sur ce site, article 2.8.
Bien sûr, les élus minoritaires ont voté contre cette mesure qui vise à les affaiblir. Considérant en outre qu'elle constitue un détournement de pouvoir, ils l'ont attaquée au Tribunal administratif. Au soutien de leur requête, ils ont cité l'extrait suivant d'un débat qui a eu lieu à l'Asssemblée nationale le 5 février 2002 lors du vote en seconde lecture de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité :
« M. Bernard ROMAN, vice-président
de la commission mixte paritaire. En présence d’un texte
comme celui qui nous est soumis, on ne peut être ni angélique
ni suspicieux. La majorité sénatoriale avait supprimé
la presque totalité des dispositions concernant les droits de l’opposition
au sein d’un conseil municipal, en se fondant sur un argument, qui,
à première vue, semble de bon sens, selon lequel, dans les
communes où siègent des sénateurs de la majorité
sénatoriale, l’opposition peut parler quand elle le veut et
discuter des délibérations. « M. Thierry MARIANI. C’est la démocratie ! « M. Bernard ROMAN, vice-président de la commission mixte paritaire. C’est vrai, je n’en doute pas, dans 80% des communes de France. Toutefois, il faut que ce soit le cas dans 100% d’entre elles, et c’est ce à ce quoi vise justement ce texte. « Nous connaissons tous des conseils municipaux où il n’y a qu’un seul micro, celui du maire, où les opposants sont disposés dans la salle de telle sorte qu’ils ne peuvent pas se concerter pendant la discussion et où les documents municipaux sont distribués le plus tard possible. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l’Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) « M. Pascal CLÉMENT. Ça, c’est dans les conseils municipaux à majorité communiste ou socialiste ! « M. Thierry MARIANI. À l’Assemblée, il arrive que les rapports soient mis en distribution seulement la veille de la discussion du texte sur lequel ils portent ! « M. Bernard ROMAN, vice-président de la commission mixte paritaire. Cela existe, mais c’est rarissime ! « M. Bernard BIRSINGER. Ça n’existe pas à gauche ! « M. Bernard ROMAN, vice-président de la commission mixte paritaire. Selon moi, ça existe de tous les côtés. L’honneur du législateur, c’est de faire en sorte, tout en ne cultivant ni la suspicion ni la naïveté, que cela ne se produise nulle part. La démocratie est trop belle pour que le législateur la laisse être galvaudée ! « M. Aloyse WARHOUVER. Très bien ! « M. Bernard ROMAN, vice-président de la commission mixte paritaire. J’indique à M. BIRSINGER, qui s’est exprimé sur ce sujet, que les dispositions relatives aux droits de l’opposition retenues par le CMP sont essentielles. A cette occasion, nous avons montré qu’il était possible de parvenir à un compromis qui, comme vous le disiez, monsieur le ministre, ne fait appel à aucune compromission. » |
(texte intégral du débat disponible sur le site Internet de l'Assemblée nationale ; la section citée est en p. 38 du document affiché).
Ce que stigmatise ici M. Bernard ROMAN, dont il voudrait « que cela ne se produise nulle part » et qui pour lui « galvaude » la démocratie, savoir, un conseil municipal où :
c'est très exactement ce qui se passe à VENDARGUES depuis l'introduction du plan de table contesté !
Le scrutin dit « majoritaire » en vigueur dans les communes de 3 500 habitants et plus pour l'élection des conseils municipaux est destiné à permettre à l'équipe arrivée en tête aux élections de disposer d'une majorité pour mener à bien son programme. Mais en prévoyant d'attribuer aussi des sièges à d'autres listes, elle entend favoriser le pluralisme, permettre à d'autres sensibilités de s'exprimer, et surtout instaurer un contrôle par les minorités d'une majorité qui se croirait devenue toute-puissante.
Par des mesures de ce genre, le maire et sa majorité montrent clairement que, malgré leurs belles paroles, ils n'ont nullement l'intention de jouer le jeu de la démocratie dans les faits, qu'ils ne supportent pas la moindre contestation de leur toute-puissance, et avouent en fin de compte que l'opposition les gène, puisqu'ils se voient obligés de recourir à des techniques que l'on croyait réservée au professeurs vis-à-vis de leurs élèves pour contrecarer son action.
Bien sûr, le maire vous dira que nous faisons de la « politique politicienne », sa formule favorite pour qualifier les agissements de toute personne qui a le malheur de ne pas être d'accord avec lui (alors que quand on est d'accord avec lui, même sur des choix politiques, on ne fait pas de politique !...) ; que nous sommes procéduriers et nous servons des tribunaux pour cacher notre impuissance, et que sais-je encore...
Mais devrions-nous nous laisser museler ainsi sans rien dire ? Devons-nous le laisser faire sans rien dire quand nous le voyons ainsi « abuser » du pouvoir déjà grand que lui donne sa fonction pour étouffer toute vélléité d'opposition, pour ne pas risquer le reproche d'être « procéduriers » ? Mais qui est finalement le plus criticable de ceux qui tentent de défendre leurs droits et ceux des électeurs qui leur ont fait confiance de leurs propres deniers ou de celui qui les provoque et cherche à voir jusqu'où il pourra pousser son avantage sans qu'ils réagissent en sachant qu'il a à sa disposition les deniers de ses administrés pour se défendre ?...
L'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme, dont l'actuelle Constitution de la France fait un de ses textes fondateurs en y faisant référence dans son préambule, précise que la force publique « est instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ». Est-ce « l'avantage de tous » qu'a en vue un maire qui ne trouve, pour justifier une mesure à l'évidence répressive à l'encontre d'un groupe minoritaire, que l'appel à « la raison du fait majoritaire » ? Loin de pouvoir empêcher le maire de mener à bien son programme, puisqu'il dispose d'une large majorité au conseil (24 contre 5), le groupe minoritaire n'a guère d'autre pouvoir que de l'empêcher, ce faisant, de violer les lois qu'il est par ailleurs chargé d'appliquer et de faire respecter dans sa commune (voir articles L. 2122-27 et 28 du Code général des collectivités territoriales). Le maire sert-il donc l'intérêt de tous en refusant ce droit de regard du groupe minoritaire ? Ou bien, selon la formule du député Bernard ROMAN citée plus haut, ne fait-il que « galvauder la démocratie » ? A vous de le dire...
En attendant l'issue de la procédure engagée (qui ne suspend pas la mesure attaquée), les élus du groupe minoritaire se sont pliés aux exigences de la majorité pour ne pas se mettre en contravention avec la loi dont ils demandent par ailleurs le respect, et ont donc respecté, lors des séances ultérieures du conseil, le plan de table imposé par le maire pour ne pas lui donner le plaisir de les faire expulser de la salle du conseil, comme il avait menacé de le faire en cas de non respect lors de la discussion sur le plan de table le 12 septembre 2002, ou le prétexte à ne plus respecter aucune autre prescription du règlement intérieur du conseil, comme celle qui permet aux conseillers minoritiares de poser des questions orales ou écrites, autre menace qu'il avait proférée ce même jour.
Le point sur la procédure en cours
A la requête en excès de pouvoir que nous avons déposée le 14 octobre 2002 au Tribunal administratif à l'encontre de la première version de la délibération fixant le plan de table, nous avions joint deux requêtes en vue d'obtenir une procédure d'urgence, l'une appelée « référé simple » et l'autre « référé liberté », cette dernière obligeant le tribunal à décider dans les 48 heures d'éventuelles « mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » menacée par la décision attaquée (qui n'est pas suspendue par la requête proprement dite) lorsque cette procédure est « justifiée par l'urgence » (par exemple, arrêté de reconduite à la frontière, ou de démolition d'un bâtiment jugé insalubre, dans la mesure où, si la décision était mise à exécution sans attendre l'issue de la requête en annulation, il serait ensuite trop tard pour revenir en arrière, et le jugement serait sans effet pratique) (art. L. 521-2 du Code de justice administrative).
Dans une ordonnace rendue le 17 octobre 2002, le juge des référés n'a pas admis le bien-fondé du référé-liberté, c'est-à-dire qu'il n'a pas considéré que la délibération sur le plan de table portait « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », ni vu « l'urgence qui justifierait la suspension de la délibération ».
Ce jugement n'est pas un jugement sur le fond, et ne préjuge donc en rien de l'issue de la requête principale.
Ceci dit, les maladresses du maire, qui l'ont obligé à faire annuler, puis revoter, la délibération imposant le plan de table, nous ont aussi obligé à reformuler nos requêtes, retardant d'autant la procédure. La requête en excès de pouvoir visant la seconde version de la délibération (votée le 24 octobre 2002) a été déposée au tribunal le 22 novembre 2002, accompagnée d'une requête en référé simple. Par ordonnance du 19 février 2003, le juge des référés a rejeté cette requête pour défaut d'urgence.
Mise à jour du 31 octobre 2006 : l'affaire a été inscrite à l'audience de la 5ème chambre du Tribunal administratif de Montpellier le 5 septembre 2006 et le jugement, mis en délibéré, a été rendu le 19 septembre 2006 et a donné raison au groupe minoritaire en annulant la délibération du 24 octobre 2002 fixant le plan de table contesté, considérant que « les requérants sont fondés à soutenir que la délibération attaquée est entachée de détournement de pouvoir et à demander son annulation » (voir notre page rendant compte de ce jugement, ainsi que la copie intégrale du jugement).
Le site de Bernard SUZANNE, ancien conseiller municipal
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